L’esprit du feu

esprit du feu

Feu
Devant lequel je suis seul ce soir
Avec mes mains et cette armure végétale
Où se brise mon sang
Profitons du moment
Pour tout dire
Steppe, rouge beauté
Lassos de tendre chair
Je suis le cavalier qui traverse cet air
Où le fauve bondit dans les cercles de flamme
Feu sur moi sur mon front
Dans mes yeux difficiles
Et sur la vitre lourde éclaboussée d’embruns.
[…]
C’est d’abord un jardin où sommeille l’enfance
Des roses mutilées parodient la souffrance
Des portes en s’ouvrant assombrissent les pas
Puis c’est un homme seul qui s’avance
Et qui saigne
Il est beau
Car le sang lumineux qui le baigne
Touche son front si blanc que rien ne ternira
Enfin voici le feu
Où je brûle mes ailes
Ô mains mes pauvres mains effroyables gazelles
Arrêtez ce flot noir où mon cœur se repent
Je veux vivre à tâtons
Dans l’ombre de moi-même
Ne savoir jamais plus
Le nom de ce que j’aime
Puisqu’au bout de la nuit
Arrêtez ce flot noir où mon cœur se repent.

René Guy Cadou, La Vie Rêvée – L’esprit du feu (extrait), 1973